Mieux comprendre l'invisible : des percées scientifiques prometteuses
Publiée le 27 mar 2025
Une plateforme optique de pointe découlant d’un partenariat débuté dans le cadre de Sentinelle Nord pourrait permettre des percées prometteuses dans plusieurs domaines, de la caractérisation du cerveau à celle de la banquise.
Le village de Qikiqtarjuaq au Nunavut surplombe les abysses de l’océan Arctique. Les montagnes au pied desquelles se situe la communauté de 600 âmes plongent en effet dans la mer pour atteindre rapidement une profondeur de 400 mètres, et 2000 mètres plus au large. Tout récemment, une station de recherche issue d'une collaboration entre cette communauté, Qikiqtani Inuit Association et l'Université Laval a ouvert ses portes sur cet emplacement stratégique, tout près des côtes.
Grâce à ce laboratoire, des dizaines de scientifiques ne sont plus restreints à la saison estivale pour étudier, à partir de la terre ferme, les processus océanographiques des écosystèmes marins de la région de l’île de Baffin. Il s’agit donc d’un gain majeur.

La station de recherche de Qikiqtarjuaq permet d’étudier les processus océanographiques toute l’année en bénéficiant d’installations de pointe.
Marcel Babin, océanographe et codirecteur scientifique de Sentinelle Nord, est l’instigateur du projet de station de recherche. Il fait partie de ceux qui profiteront de cette nouvelle infrastructure de classe mondiale. « Nous pourrons travailler sur des cellules de microalgues fraîchement prélevées dans l’eau de mer et la glace », fait-il valoir. Mais la curiosité l’a poussé à tenter d’aller encore plus loin.
C’est ici qu’entre en jeu Flavie Lavoie-Cardinal, professeure au Département de psychiatrie et de neurosciences de l’Université Laval. Ses travaux portent sur le développement de méthodes d’observation des interactions moléculaires entre les cellules du cerveau : les neurones.

Les professeurs Marcel Babin et Flavie Lavoie-Cardinal développent une plateforme optique de pointe qui permettra diverses avancées dans plusieurs champs disciplinaires.
Crédits : Yan Doublet (gauche) et Vincent Resseguier (droite).
Ensemble, les deux scientifiques travaillent actuellement sur une technologie novatrice qui sera à terme utilisée à la station de Qikiqtarjuaq : un nanoscope optique basé sur la fluorescence qui permettra de mieux comprendre les changements dans les environnements marins arctiques, et aussi d’élucider une foule d’autres phénomènes biologiques, des interactions neuronales aux mécanismes d’infection des bactéries.
Un microscope avant-gardiste
Les algues microscopiques, qui forment la base des chaînes alimentaires de cet écosystème et qui jouent un rôle crucial dans la productivité des océans, ont comme particularité de survivre à la nuit polaire, alors que presque aucune lumière ne pénètre sous les glaces. Les mécanismes derrière cet exploit sont cependant mal compris. « On ignore par exemple quelles protéines régulent la résistance au choc de congélation », illustre Marcel Babin.
Distinguer ce niveau de détail est tout sauf facile. « Les microalgues mesurent environ 2 à 3 micromètres, une taille à la limite de la résolution offerte par les meilleurs microscopes optiques conventionnels », met en perspective le codirecteur scientifique de Sentinelle Nord.

Un neurone (gauche) et la microalgue Nitzschia Frigida (droite) vus à travers le nanoscope à fluorescence, dont la grande résolution permet de mieux comprendre une foule de phénomènes biologiques.
Crédits : Andréanne Deschênes, Kamylle Thériault (FLClab) et Sébastien Guérin (Takuvik).
« Mon équipe aide celle de Marcel à mettre au point des stratégies pour rendre les microalgues fluorescentes », explique Flavie Lavoie-Cardinal. Cette émission lumineuse permet ensuite de sonder l’organisation des tissus biologiques à l’échelle nanométrique grâce à un microscope à ultra-haute résolution, un instrument à la fine pointe de la technologie.
Percées scientifiques à venir
Cette nouvelle collaboration repose sur des passerelles construites entre deux champs disciplinaires que rien ne relie pourtant a priori. « Les cellules de microalgues sont largement similaires à celles de neurones, affirme Marcel Babin. Comme toutes les cellules eucaryotes, elles contiennent les mêmes organelles et partagent plusieurs substances chimiques. »
« La même plateforme de nanoscopie optique basée sur la fluorescence sera à l’origine de retombées diverses dans plusieurs disciplines scientifiques, se réjouit Flavie Lavoie-Cardinal. C’est vraiment une initiative unique à l’échelle du Canada. »
Sans la stratégie de recherche Sentinelle Nord, ce dialogue interdisciplinaire n’aurait jamais eu lieu, privant ainsi plusieurs équipes de recherche de ce précieux outil optique. « Moi et mon équipe pourrons explorer de nouvelles avenues de recherche, prévoit Marcel Babin. Cette expertise bénéficiera à la prochaine génération qui se forme en ce moment dans nos laboratoires. »