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Quand la neurobiologie combat le stress chronique

Publiée le 4 déc 2024

Un constat circule de plus en plus dans la communauté scientifique : pour diagnostiquer et traiter le stress chronique et les troubles de l’humeur, il faut sortir de la boîte noire du cerveau. Les autres systèmes du corps et les conditions de vie joueraient un rôle déterminant dans l’équation.

C’est, en bref, ce qu’explore l’équipe de Caroline Ménard, titulaire de la Chaire de recherche Sentinelle Nord sur la neurobiologie du stress et de la résilience. « On s’intéresse à la biologie qui est responsable de la réponse au stress, surtout ce qui rend plus vulnérable et plus résilient », résume la chercheuse. 
 

Un fléau mondial 

La conséquence la plus commune du stress chronique est le trouble dépressif majeur, une importante cause d’invalidité dans le monde1. Même aujourd'hui, en 2024, le diagnostic de la dépression n’est effectué que sur la base de symptômes autorapportés en remplissant des questionnaires. Trouver des biomarqueurs fiables changerait complètement la donne. On pourrait identifier les individus à risque de développer des troubles de santé mentale et assurer une prise en charge plus rapide, efficace et ciblée. 

Les percées réalisées et à venir de la chaire de Caroline Ménard pourraient donc mener à des avancées prometteuses. Surtout dans un contexte où plus de 6,7 millions de Canadiens vivent avec des troubles mentaux, selon une étude effectuée en 20112. Chez les Inuits, la proportion de gens déclarant éprouver des symptômes dépressifs cliniquement significatifs est deux fois plus élevée que dans la population canadienne générale3. Et pour cause : le Nord subit d'importants bouleversements socio-économiques, culturels et environnementaux qui engendrent une forme de stress unique chez les populations qui y habitent. 
 

Caroline Ménard présentait ses travaux à la Réunion scientifique Sentinelle Nord en 2022. Elle parlera de ses nouvelles avancées dans la dernière édition en 2025!
Légende : Caroline Ménard présentait ses travaux à la Réunion scientifique Sentinelle Nord en 2022. Elle parlera de ses nouvelles avancées dans la dernière édition en 2025! 
Crédit : Pub photo 
 

Suivre la piste des trous 

L’équipe de recherche a suivi plusieurs pistes, dont celle de l’inflammation à l’intérieur du corps et de la suractivité du système immunitaire lorsque l’on fait face à des défis. Le stress chronique est associé à une hausse de signaux inflammatoires circulant dans le sang, et une inflammation prolongée peut fragiliser la barrière hématoencéphalique (BHE), qui protège le cerveau des bactéries et toxines nocives. Cette barrière n’arrive pas à se réparer correctement si le stress est constant, ce qui crée des trous par lesquels l’inflammation peut passer et atteindre le cerveau. 

Les recherches ont aussi permis d’identifier des changements moléculaires et cellulaires dans la BHE associés à la résilience au stress. Ceux-ci pourraient jouer un rôle protecteur sur le système neurovasculaire — ce qui montre l’importance d’étudier non seulement les pathologies causées par le stress, mais également les adaptations positives pour mieux traiter les troubles de l’humeur et favoriser la résilience. 

Après le système neurovasculaire, le système digestif et la barrière intestinale ont attiré l’attention des chercheurs. À la suite de l’exposition chronique au stress, de petits trous ont aussi été observés dans cette barrière qui protège l’intestin et empêche l’inflammation de passer de l’intestin à la circulation sanguine. De plus, le profil de bactéries qui se trouvent dans cet organe se modifie lorsque soumis au stress et à la dépression, adoptant un profil inflammatoire, ce qui pourrait contribuer à la hausse de l'inflammation circulante observée chez les individus résistants aux traitements. 
 

1. Barrière hématoencéphalique; 2. Barrière intestinale

Légende : 1. Barrière hématoencéphalique; 2. Barrière intestinale 
Crédit : Menard Neuro Lab Gallery 
 

« Notre idée est qu’en plus de traiter le cerveau, il faut considérer les systèmes vasculaire et immunitaire, et réguler leur activité, ce qui pourrait amplifier les bénéfices des antidépresseurs », expose la professeure. Elle souhaite aller vers une médecine plus personnalisée en santé mentale, qui s’appuierait sur des biomarqueurs comme pour le cancer et les maladies cardiaques. « Il y a peut-être des biomarqueurs spécifiques pour les hommes et les femmes, des signatures selon les populations, et même selon les types de troubles de l'humeur. » À terme, cela permettrait de préciser les diagnostics et de faciliter le choix de traitement. 
 

De la recherche de calibre olympique 

Amenée à voyager hors du Québec deux ou trois fois par mois pour présenter ses recherches dans des conférences et des séminaires, Caroline Ménard souligne que les travaux de sa chaire suscitent notamment l’intérêt dans les pays scandinaves, qui partagent certains enjeux liés aux régions nordiques. En s’inscrivant dans une science ouverte et interdisciplinaire, la chercheuse espère aller « plus haut, plus loin et plus vite, comme aux Olympiques! ». 
 

L’équipe du laboratoire de Caroline Ménard

Légende : L’équipe du laboratoire de Caroline Ménard 
Crédit : Frédéric Cantin 
 

Avoir une Chaire de recherche Sentinelle Nord a permis à Caroline Ménard de recruter des étudiants et étudiantes qui viennent à proportion égale d’Europe, d’Amérique du Sud et du Canada. Ils et elles sont formés dans des disciplines aussi variées que la médecine, la psychologie, les mathématiques, l’ingénierie, la biophotonique ou les neurosciences. « En leur offrant l’occasion de travailler en équipe, ça permet de pousser les projets beaucoup plus haut, de les rendre plus créatifs puisque chacun apporte une expertise et des idées différentes, alors qu’eux sortent de cette expérience en étant mieux outillés, sur le plan tant technique que conceptuel et humain », observe la chercheuse. 

Les travaux de sa chaire sont un bel exemple que l’interdisciplinarité est une approche riche et innovante qui permet au savoir de traverser toutes les frontières. 

 

Références : 


1 Vos et coll., 2020 
2 Smetanin et coll., 2011 
3 Mental health and wellness Qanuilirpitaa?, 2017