Les mathématiques au service des écosystèmes nordiques
Publiée le 22 jan 2025
Des experts en modélisation utilisent de nouvelles approches mathématiques pour mieux comprendre les systèmes complexes si nombreux dans le Nord. Ils ont beau se cantonner dans leurs laboratoires respectifs à l’Université Laval à Québec, Antoine Allard et Patrick Desrosiers font progresser ensemble la recherche dans le Nord. Les outils de modélisation mathématiques développés par les deux physiciens et leurs équipes font en effet « parler » les données de recherche collectées dans le cadre de différents projets liés à Sentinelle Nord. Avec, pour résultat, une meilleure compréhension de systèmes a priori peu semblables, comme des écosystèmes nordiques et des réseaux de neurones.
« Je n’ai jamais mis les pieds sur les terrains que je contribue pourtant à caractériser ! », relève Antoine Allard, professeur au Département de physique, de génie physique et d’optique de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche Sentinelle Nord en modélisation mathématique des systèmes et des réseaux complexes. Or, cela ne veut pas dire qu’ils réalisent leurs équations seuls dans leur coin. « Bien au contraire : je n’ai jamais discuté avec autant de chercheurs d’horizons différents », souligne Patrick Desrosiers, chercheur au Centre de recherche CERVO et professeur associé au Département de physique, de génie physique et d’optique de l’Université Laval.
Grâce au pouvoir de l’abstraction mathématique, ils simplifient des phénomènes d’une complexité inouïe, sans pourtant les dénaturer. Le but : produire des représentations intelligibles, sous forme de réseaux, de manière à pouvoir apprécier les interactions entre différents éléments. Ces modèles permettent ensuite de dialoguer avec des experts de domaines aussi variés que l’écologie ou la neurobiologie, qui contemplent ainsi des problèmes sous un œil nouveau. « Ce regard neuf les amène à faire des analyses inédites », résume le professeur Allard.
Appliqué et fondamental
C’est, par exemple, ce qui s’est produit dans le cadre d’un projet sur le caribou boréal piloté par Daniel Fortin, professeur au Département de biologie de l’Université Laval. Avec ses collaborateurs, dont Antoine Allard et Patrick Desrosiers font partie, il a évalué l’efficacité des mesures de conservation qui ont pour objectif d’atténuer l’impact humain sur cette espèce menacée. La conclusion est implacable : la protection de l’herbivore bénéficie aussi de manière simultanée à l’ensemble de la biodiversité qui coexiste dans le même écosystème nordique, ce qui confirme son statut d’espèce parapluie.
L’étude des interactions au sein d’un même réseau trophique a en outre permis de déployer des modèles pour prédire l’abondance de dizaines d’espèces d’oiseaux et de coléoptères des forêts boréales de la Côte-Nord au cours du siècle prochain. « Les méthodes prédictives utilisées se fondent sur la théorie des réseaux », confirme le professeur Desrosiers. Ces recherches sont indispensables pour les efforts de conservation de la faune et de la flore au fur et à mesure que les changements climatiques se feront ressentir.
Légende : Les approches de modélisation mathématique peuvent permettre l'étude des interactions complexes dans un environnement donné, par exemple dans la forêt boréale, en appuyant les efforts de conservation de la faune et de la flore.
Certaines des initiatives liées à Sentinelle Nord sont aussi de nature plus fondamentale. C’est le cas d’un projet qui porte sur l’influence de la géométrie du cerveau du poisson-zèbre, un vertébré qui a la particularité d’être transparent à l’état larvaire, sur l’activité cérébrale. « Nous avons déployé des modèles qui intègrent à la fois des réseaux neuronaux, des stimuli et des mouvements, explique Patrick Desrosiers. Un tel niveau de détails, c’est du jamais vu. » À plus long terme, cela pourrait permettre de mieux évaluer l’impact de l’exposition à divers contaminants sur le cerveau.
Et ce n’est pas fini
L’approche transversale de la recherche mise en œuvre par Antoine Allard et Patrick Desrosiers contribue à décloisonner les expertises, l’un des objectifs au cœur de Sentinelle Nord. S’il existe au départ un fossé entre les diverses disciplines, ce dernier se comble petit à petit dès lors qu’un dialogue s’engage. « En apprenant à se connaître, on se familiarise avec le domaine de l’autre, puis on finit par parler une langue commune », fait valoir le professeur Allard. « C’est un réel défi, convient le professeur Desrosiers, mais je ne reviendrais pas en arrière. »
Légende : Photo du groupe de recherche d’Antoine Allard et de Patrick Desrosiers prise lors de leur symposium annuel en septembre 2024.
De fait, l’un et l’autre ont initié dans les dernières années quantité de projets qui sont appelés à perdurer dans le temps, bien au-delà de Sentinelle Nord. Antoine Allard se réjouit notamment des opportunités saisies par les étudiants-chercheurs qu’il supervise. « Ils ont eu la chance d’être mis en contact avec d’autres manières de faire de la science, ce qui ouvre les horizons de plusieurs, seconde Patrick Desrosiers. Leur carrière va certainement bénéficier de cette expérience. »